PLUS DE 100 ANS D'HISTOIRE
« Il est indubitable que cet endroit entouré des eaux de l’Ill et de l’Aar est le plus prestigieux qui puisse offrir le plan d’urbanisme de la ville nouvelle de Strasbourg. L’édifice, visible de toutes parts, n’est pas seulement le pôle d’intérêt de son environnement immédiat, mais encore le trait d’union entre la vieille ville et la nouvelle ».
Article du Deutsche Bauzeitung datant du 8 janvier 1898
LE CONTEXTE DE SA CONSTRUCTION
Dans le contexte européen du 19e siècle, marqué par les aspirations nationalistes à l'unification, la Prusse parvint à rassembler les États d'Allemagne du Nord et sortit victorieuse de ses conflits avec l'Autriche, puis la France.
Le Second Empire allemand fut proclamé à Versailles le 18 janvier 1871, à la suite de quoi la France perdit l'Alsace (à l'exception de Belfort), la Moselle et une partie de la Meurthe et des Vosges au profit du nouvel Empire prussien. Ces territoires formeront le Reichsland Elsass-Lothringen, dont Strasbourg sera la capitale.
Profondément touchée par la guerre et dans l'objectif de faire de la ville une vitrine de l'empire, Strasbourg se devait d'être reconstruite, agrandie et modernisée. C'est ainsi qu'est né le projet Neustadt (nouvelle ville), au sein duquel prend place l'histoire de l'église Saint-Paul.
En raison de la position stratégique de Strasbourg sur le plan militaire, une importante garnison d'environ 7 500 hommes en 1871, et jusqu'à 15 000 en 1910, était nécessaire. Les troupes protestantes avaient établi leurs quartiers à l'église Saint-Thomas et à l'église protestante Saint-Pierre-le-Vieux, mais ces lieux étaient devenus trop exigus. Le ministère de la Guerre décida alors de faire construire deux églises de garnison, une protestante et une catholique.
La première, Evangelische Garnisonkirche (église de garnison protestante), est consacrée le 9 mai 1897.
La seconde, Katholische Garnison-Kirche (église de garnison catholique), est consacrée le 28 mai 1899.
Elles seront toutes deux renommée en 1921, la première deviendra l'église réformée Saint-Paul, la seconde l'église catholique Saint-Maurice.
L'emplacement choisi pour accueillir l'église de garnison luthérienne est tout à fait remarquable. Situé à l'intersection des eaux de l'Ill et de l'Aar, il offrait une vue dégagée et une perspective en point de fuite sur le canal depuis la vieille ville, ainsi qu'une perspective conjointe avec la flèche de la cathédrale Notre-Dame depuis la place Brant, au cœur des nouveaux quartiers allemands. De plus, l'édifice se dressait entre le Palais Universitaire et le Palais de l'Empereur, aujourd'hui le Palais du Rhin ; symboliquement situé entre le lieu du savoir et celui du pouvoir.
LA PAROISSE RÉFORMÉE DE LANGUE FRANÇAISE
Edmond Fischer, dira à propos de St-Paul :
« Alors que depuis la nuit des temps, la moindre église représente le couronnement de longs efforts de la communauté, ici, tout au contraire, l’édifice a précédé la paroisse ; la paroisse Saint-Paul est fille de la pierre »
La ville impériale libre de Strasbourg embrassa la Réforme protestante dès 1524. En raison de sa position géopolitique, elle devint un havre de paix pour de nombreux protestants francophones persécutés, qui affluèrent en vagues successives. Confrontés à un paysage ecclésiastique où les sept paroisses luthériennes de la ville étaient exclusivement germanophones, ces exilés se retrouvèrent sans prédicateur attitré ni lieu de culte dédié.
Finalement, Martin Bucer fit appel à son ami Jean Calvin pour prendre en charge cette communauté dépourvue de berger spirituel. Le réformateur ne séjourna que quelques années à Strasbourg, mais elles furent sans doute les plus marquantes de sa vie. Il transféra plus tard le modèle strasbourgeois à Genève.
Des décennies plus tard, en 1788, les réformés d'Alsace, héritiers de cette première communauté d'exilés huguenots, obtinrent l'autorisation de construire un temple. Cette autorisation était assortie de certaines conditions, notamment que le bâtiment ne ressemble pas à une église, qu'il ne comporte pas de cloche et qu'il soit édifié en retrait de la voie publique. L'église réformée du Bouclier fut érigée dans la même rue où vivait autrefois le réformateur, la rue du Bouclier.
Après le traité de Versailles en 1919, le gouvernement français s'efforça de réduire l'influence germanique dans la région et de rétablir symboliquement Strasbourg en tant que ville française. Ainsi, de nombreux enseignants « de l'intérieur » furent dépêchés pour "franciser" l'Université. Les deux Églises concordataires, l'Église luthérienne, prédominante germanophone, et l'Église réformée, francophone, désiraient toutes deux récupérer l'ancienne église de garnison. La politique favorisa le côté francophone, ce qui conduisit à la création d'une nouvelle communauté réformée aux côtés de la paroisse du Bouclier. C'est celle-ci qui rebaptisa l'édifice. Pour s'intégrer dans le paysage religieux strasbourgeois, où presque toutes les églises portent le préfixe "Saint", tout en restant fidèle à la foi protestante qui n'admet pas le culte des saints, le nom de l'apôtre biblique fut choisi. La paroisse « Saint-Paul » est officiellement établie le 2 juillet 1921.
Ce changement d'identité est rapidement suivi par un changement de décoration. Pour mieux représenté la sobriété réformée, le grand autel du chœur est cédé à la paroisse luthérienne de Sarreguemines au profit de la croix et de la table en bois qui s'y trouvent aujourd'hui. De même, diverses fresques et motifs sur les murs et les arches sont dissimuler sous une couche de peinture. Pour des raisons plus politiques, les versets bibliques peints en allemand sous les vitraux sont rapidement recouvert. Enfin, les fenêtres représentant les armoiries germaniques qui courraient tout le long des tribunes sont échangées contre des vitres vierges. Aujourd'hui il n'en reste que sept blasons, sous la rosace Est
L'histoire de l'Alsace est marquée par quatre changements de nationalité en l'espace de sept décennies. Tout d'abord française, elle devint allemande à la suite de la guerre franco-prussienne, puis retrouva sa position française après la Première Guerre mondiale, pour être à nouveau annexée par l'Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale. Finalement, elle revint sous le giron français à la fin de cette dernière. Chacun de ces bouleversements a entraîné des actions visant à effacer l'identité passée. Les pierres de St-Paul en sont un témoignage.
LES RESTAURATIONS
L'histoire de l'église Saint-Paul est marquée par une série de restaurations essentielles, rendues nécessaires à cause des ravages dus aux aléas climatiques et aux conflits humains. La chapelle attenante et les vitraux originaux du chœur furent malheureusement détruits lors d'un bombardement des Alliés en 1944, un rappel poignant des horreurs de la guerre. En 1958, la rosace Ouest subit des dommages considérables en raison d'une tempête de grêle historique, révélant la vulnérabilité de ce trésor architectural face aux caprices de la météo.
La chapelle a été remplacée par le foyer actuel, et les vitraux du chœur ont été entièrement redessinés en 1954 pour apporter une lumière différente, tandis que la rosace Ouest mentionnée précédemment a été repensée avec un design contemporain dans les années soixante. À l’extérieur la pierre est fragile, en effet le grès des Vosges présente un problème commun à beaucoup d’édifices alsaciens : celui du délitement. Les instructions de l'époque insistaient pour l'utilisation de ce matériau, à la fois noble, local et facile à travailler. Mais, fait de sable agrégé, il est poreux et s'altère rapidement. La façade a donc aussi connu son lot de restaurations, notamment entre 2005 et 2015.
Parmi les éléments fragiles de l'église, l'orgue Walcker occupe une place particulière. En effet, les orgues sont des instruments délicats qui nécessitent un environnement contrôlé en termes de température et d'humidité pour maintenir leur état optimal. La proximité de l'orgue avec la rosace Sud entraîne des fluctuations de ces conditions, ce qui pourrait affecter la stabilité de cet instrument exceptionnel, plus grand orgue symphonique d’Alsace. La canicule de 2023 avait d'ailleurs nui à l'instrument et plusieurs concerts avaient dû être annulés. Cette situation souligne l'impératif de préserver ce chef-d'œuvre musical et architectural.
La protection et la valorisation de l'église Saint-Paul par le biais de la restauration est nécessaire. En effet, l’église est un témoignage exceptionnel du patrimoine de la Neustadt. En reconnaissance de quoi elle a été classée monument historique en 1998. Cela garantit sa préservation pour les générations futures, mais les travaux de restauration actuels sont essentiels. La toiture montre des signes d'infiltrations d'eau, tandis que certains vitraux nécessitent une attention urgente. Pour consolider le toit, gérer les fissures et remplacer les fenêtres abîmées, nous avons besoin de plusieurs millions d'euros. Une partie de ces coûts sera financée par divers organismes, cependant, une part non négligeable est à la charge de la paroisse. C'est pourquoi nous faisons appel à votre générosité et à votre soutien pour sauvegarder ce patrimoine précieux, afin que l'église Saint-Paul continue d'illuminer notre histoire et notre spiritualité. Vos dons contribueront à préserver cette merveille architecturale pour les générations à venir.
SAINT-PAUL AUJOURD'HUI
Aujourd'hui, l'église Saint-Paul occupe une place particulière en tant que paroisse universitaire au cœur de Strasbourg. Située à proximité du campus historique, elle entretient depuis longtemps des liens étroits avec la faculté de théologie protestante. Depuis 2017, elle porte fièrement le titre de paroisse universitaire, offrant aux étudiants un espace chaleureux où se retrouver et se ressourcer. Chaque mercredi midi, un repas convivial rassemble étudiants, paroissiens et professeurs, tandis que des moments d'exercice de prédication en format court permettent de développer les compétences oratoires et spirituelles. Les étudiants peuvent également profiter d'un endroit paisible pour réviser, en sirotant un café fraîchement moulu sur place.
La paroisse Saint-Paul organise également des événements ponctuels qui renforcent les liens communautaires, tels que des randonnées après le culte ou des week-ends étudiants et familles en dehors de la ville. Pour la plus grande joie des enfants, une chasse aux œufs est organisée dans l'église à Pâques. Les parents et couples ne sont pas en reste, ils se retrouvent lors des réunions mensuel du groupe Agape, pour parler d'amour, de foi et partager les anecdotes du quotidien autour d'un repas aux chandelles.
Le conseil presbytéral a également pour projet d'ouvrir un café dans une salle de l'église. L'espace sera délimité par une verrière pour que les strasbourgeois et touristes puissent profiter de l'atmosphère des lieux tout en respectant sa dimension spirituelle. Grâce à sa proximité physique avec le palais universitaire, l'endroit sera certainement fréquenté par les professeurs et étudiants de Strasbourg. L'initiative a pour objectif de proposer un lieu de rencontre, non seulement entre être humains, mais aussi possiblement avec Dieu. L'occasion d'un premier contact aux questions de la foi pour ceux qui le désir.
En tant que lieu de culture, l'église ouvre ses portes à de nombreux événements musicaux et artistiques. En 2022, elle recevait par exemple successivement les chanteurs Hugues Aufray et Patrick Fiori, et en décembre 2023 les Stentors s'y produiront. En plus des récitals d'orgues, régulièrement proposés par l’association Musique & Orgues, l'église accueille chaque année des concerts de l'Orchestre Universitaire de Strasbourg. De plus, le festival Musica prend possession de ses murs chaque mois de septembre, ajoutant une touche vibrante à la vie culturelle de la ville.
Ainsi, l'église Saint-Paul, en tant que paroisse universitaire et centre culturel, joue un rôle essentiel dans la vie des étudiants, dans le développement spirituel et dans la richesse culturelle de la communauté strasbourgeoise. Elle continue de rayonner en tant que lieu de rencontre, de partage et d'inspiration pour tous ceux qui franchissent ses portes.